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« Voter Suppression »: les stratégies de démobilisation des électeurs américains

Dans une campagne ou toutes les règles du jeu politique ont été bafouées les unes après les autres, des supporters de Trump et membres de son staff ont décidé de s’attaquer aux électeurs de Clinton en les empêchant par tous les moyens de voter le 8 novembre.
Un travail de « démobilisation électorale », appelé « voter suppression » qui a été entrepris depuis des années par les Républicains, à l’encontre des minorités.

Les règles de vote différentes selon chaque état

Les Etats-Unis d’Amérique ont des règles électorales différentes selon les états, et contrairement à la France, aucun d’entre eux n’offre de carte d’électeur. La principale pièce d’identification est le permis de conduire qui garantit de fait l’inscription à un registre de vote, si l’individu est un citoyen américain de plus de 18 ans, alors que d’autres états autorisent l’inscription le jour même de l’élection, dans le bureau de vote.

L’inscription électorale peut s’accompagner d’une affiliation à un parti politique (démocrates, indépendant, républicains) ou non (non-affilié) dans une trentaine états qui permettent aux électeurs de voter lors des Primaires qui précèdent la campagne présidentielle. L’affiliation à un parti politique n’implique pas nécessairement le vote pour ce même parti le jour des élections, et un individu a le droit de voter le parti adverse.

ballotpedia.org
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34 états obligent ses citoyens à apporter une pièce d’identité le jour des élections pour pouvoir voter, certains avec une photo (driver licence, carte d’identité émise par l’état, passeports), d’autres sans (facture de téléphone, relevé de banque) tandis que 18 autres états ne demandent aucun document prouvant l’identité de l’électeur. Le contrôle s’effectue avec une signature, ou des informations personnelles, comme leur nom et adresse, qui doivent être inscrites sur le registre de vote.

La politisation des Voter ID Laws

Aux Etats-Unis, les conditions d’identification des électeurs, propres à chaque états, se sont renforcées et politisées ces dernières années. En 2000, la majorité des états ne demandait aucun document d’identification aux électeurs, et 16 ans plus tard, la tendance s’est inversée, et une majorité des états requiert une forme d’identification à ses citoyens pour pouvoir exercer leur droit de vote.

Le renforcement de la législation dite des voter ID laws a été présenté comme un effort de « lutte contre la fraude électorale et [la protection de] l’intégrité de l’élection » par la grande majorité des républicains qui les ont mis en place – les démocrates y voient un moyen d’empêcher les plus vulnérables de pouvoir voter:

Les experts électoraux affirment que les minorités, les pauvres et les étudiants qui ont tendance à voter démocratique, sont parmi ceux qui sont le moins susceptibles d’avoir un permis de conduire valide, la pièce d’identité la plus couramment demandée. Les personnes âgées, un autre groupe qui a moins de chances d’avoir un permis, figurent parmi les « électeurs pivots », ceux susceptibles de changer d’avis

Ces mêmes républicains auraient ces deux dernières années, dans treize différents états, réduit la durée des votes anticipés et provoqué des attentes interminables dans les bureaux de vote cette semaine. Ils ont également rendu plus difficile les modalités d’inscription aux registres électoraux

Le programme Interstate Crosscheck

« Ce qui risque de miner la démocratie en novembre, c’est la culmination d’une décennie d’efforts des Républicains de supprimer le droit de vote sous l’apparence de lutter contre la fraude électorale » explique le magazine Rolling Stone cet été qui prend l’exemple de Intersate CrossCheck: un programme mis en place en 2005 dans le Kansas censé vérifier qu’un électeur n’est enregistré que dans un état du pays pour éviter qu’il puisse voter à deux reprises.
Le programme, aujourd’hui partagé par 28 états, a recensé près de 7 millions de personnes soupçonnées d’être enregistrées dans deux états différents alors que seulement 4 personnes ont été depuis reconnus coupables de ce genre de fraude électorale grâce à CrossCheck

Alors que les noms, prénoms, deuxième prénoms, date de naissance et les quatre derniers du numéro de sécurité sociale doivent correspondre d’un état à un autre pour être considéré un double enregistrement, les analyses des données de Crosscheck par Rolling Stone montrent que de nombreuses comparaisons n’incluent ni deuxième prénom, ni date de naissance, ni numéro de sécurité sociale.
les premières victimes de cette « méthodologie enfantine » selon un expert seraient des individus aux noms afro-américains, latinos et asiatiques.

Chaque électeur que l’état liste comme ayant un double enregistrement reçoit une carte anonyme écrite en minuscule. L’électeur doit vérifier son adresse et renvoyer au secrétariat de l’état. Si la carte n’est pas renvoyée, le processus qui consiste à supprimer votre nom du registre de vote commence.

Il est impossible de savoir le nombre d’électeurs qui ont été victimes de cette « purge électorale » mais elle contribue à diminuer « la mobilisation des électeurs, [qui] favorise traditionnellement le GOP ».

La « voter suppression » façon Trump

Dans l’une des enquêtes les plus intéressantes de cette campagne électorale, Bloomberg Businessweek a eu accès à la stratégie mise en place ces dernières semaines par les plus proches conseillers de Trump, Jared Kushner, son gendre, Steve Bannon son directeur de directeur et Brad Pascale.

« Ni la campagne de Trump, ni la Convention Nationale Républicaine ne s’est concentrée sur la mobilisation de 47 millions d’électeurs blancs sans diplôme qui représente la source la plus accessible de nouveaux votes (…) Au contraire, la campagne de Trump a conçu une autre stratégie, par la négative. Au lieu d’élargir l’électorat, Bannon et son équipe essayent de le rétrécir. « On a trois opérations en cours qui visent à limiter l’électorat (…) Trois groupes dont Clinton a besoin si elle veut gagner les élections: Les libéraux blancs idéalistes, les jeunes femmes, les afro-américains »

Pour ceux qui ont suivi le dernier débat présidentiel, Trump y a évoqué les emails de Wikileaks et le Traité Trans-pacifique (destinés aux libéraux blancs idéalistes), les accusations des femmes à l’encontre de Bill Clinton (destinés aux jeunes femmes) et les « super prédateurs » (destinés aux Afro-Américains).
Les proches du candidat républicain ont choisi de cibler leurs attaques sur ces trois groupes en utilisant spots télés, radios et médias sociaux pour véhiculer des messages anti-Clinton et qui sont prêts à utiliser la désinformation pour démoraliser l’électorat susceptible de voter Clinton.

Internet et les fausses informations

Les américains les appellent les « trolls », ce sont des internautes qui lancent des rumeurs, campagnes de dénigrement et toutes formes cyberbullying sur internet et les réseaux sociaux.
Beaucoup se réclament du mouvement alt-right, proche de Breitbart News et Drudge Report, ces médias trash-conservateurs qui ont atteint le grand public durant cette campagne présidentielle.

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Depuis plusieurs jours ces derniers postent de fausses informations, sous forme de publicité utilisant notamment le logo de Hillary Clinton, pour tenter de garder les électeurs de Clinton en dehors des bureaux de vote le 8 novembre.
Comme exemple de désinformation: la possibilité de voter par texto, ou l’extension du vote jusqu’au 9 novembre, la nécessité d’apporter un acte de naissance pour pouvoir voter.

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Exemple de désinformation sur Twitter appelant à apporter toutes sortes de pièces d’identification pour pouvoir voter

De nombreux utilisateurs ont dénoncé ces messages, et les posts incriminés ont été supprimés des réseaux sociaux et le compte de leur auteur annulé.

Intimidation dans les bureaux de vote

Depuis que le candidat républicain affirme que les élections sont truqués, certains de ses supporters se sont regroupés pour aller « surveiller » les bureaux de vote le jour J et veiller a « prévenir toute fraude électorale » – ceux que les démocrates ont interprété comme des tentatives d’intimidation des électeurs: aller les interroger sur le choix de leur candidat, les photographier dans les bureaux de vote, ou même leur bloquer l’entrée.

Dans le swing state d’Ohio, le juge fédéral a d’abord donné raison aux démocrates en pénalisant toute tentatives d’harcèlement de ces poll watchers avant que la cour d’appel de cet état annule la décision.

Les démocrates ont déposé plainte contre le comité national républicain dans cinq autres états contre ces tactiques visant à empêcher certaines minorités ou populations de voter, mais aucune n’a réussi à passer. Les Républicains ont nié ces accusations en faisant valoir le manque de preuve tangibles

 

Il faut attendre demain soir pour évaluer l’efficacité des stratégies de démobilisations, législatives, physiques et numériques mises en place par les républicains, conservateurs et supporteurs de Trump qui ont marqué cette campagne presque autant que les stratégies de mobilisation défendues par les Démocrates.

Published in Elections présidentielles US