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Le massacre d’Al Ghayil

 

Le raid de la section d’élite de l’armée américaine au Yémen en janvier dernier, première opération anti-terroriste autorisée par le président Trump a été un véritable fiasco qu’il a qualifié d’immense succès lors de son adresse devant le Congrès il y a deux semaines: un soldat américain, quatorze combattants supposés d’Al-Qaïda et une vingtaine de civils dont des enfants ont trouvé la mort.

Iona Craig, journaliste indépendante, a enquêté pour The Intercept.

 

La mission officielle consistait à collecter des informations sur les activités d’Al Qaïda au Yémen dans le cadre de la lutte anti-terroriste: Récupérer les appareils électroniques du clan Al-Dhabab, dont plusieurs membres appartiennent à l’AQPA, la branche d’Al Qaïda en Péninsule Arabique – celle qui a revendiqué l’attentat contre Charlie Hebdo le 7 janvier 2015.
Selon The Intercept, il s’agissait officieusement de capturer leur leader Qassim al-Rimi, qui était absent cette nuit là – des affirmations démenties par la Maison Blanche.

 

« L’opération était risquée dès le début et s’est avérée finalement très coûteuse » affirme le New York Times qui explique que « tout ce qui pourrait pu mal se passer, s’est mal passé ».

 

Dans la nuit du 28 au 29 janvier 2017, plusieurs douzaines de Navy SEALs accompagnés par des opérateurs des Emirats arabes unis ont pris d’assaut le village Yakla, dans la zone montagneuse d’Al-Bayda au centre du Yemen.
Selon des sources ayant eu connaissance du raid, les SEALs auraient découvert en arrivant sur les lieux que leur mission était compromise, que les cibles avaient été prévenues de l’attaque et « qu’un contingent d’extrémistes islamistes lourdement armés » les attendaient.

 

Malgré les renforts des tirs des hélicoptères et avions de l’armée, l’unité d’élite a rapidement été submergé par les centaines de militants et villageois des alentours venus à leur secours.
Le soldat américain Rick Owens a été tué d’une balle dans la tête dès les premières minutes de la fusillade qui en a duré presque cinquante et détruit la plupart des habitations du village. 

 

Le village d’Al Ghayil dans la province d’Al Bayda au Yémen. Carte: The Intercept

 

Des dizaines de maisons ont été détruites, et avec elles, les informations censées être collectées par l’unité d’élite.
Une heure après le début de la mission, un avion de 75 millions de dollars s’est écrasé en venant secourir les Navy Seals blessant trois des leurs et obligeant un autre appareil à intervenir.

 

Le compte rendu qui émerge [de la mission] suggère que la Maison Blanche de Trump rompt avec la politique d’Obama qui visait à limiter au maximum de blesser et tuer des civils (…) Les militaires américains qui ont préparé l’opération auraient dû prévoir une résistance armée des militants d’Al-Qaïda, des habitants d’Al Gahyil et des villages alentours. Cette région d’Al Bayda est en guerre depuis plus de deux ans et demi, et la tribu Qayfa est connue pour sa force de résistance et son refus de se soumettre à l’Etat.

 

Selon le New York Times, trois membres proéminents d’al-Qaïda auraient été tués dans l’assaut. L’armée américaine avance le chiffre de quatorze membres de l’AQPA tués et le Pentagone a reconnu que des civils faisaient partie des victimes sans avancer de nombre exact.
L’ONG Human Right Watch évalue entre 15 et 25 victimes parmi les civils, dont dix enfants de moins treize ans.

 

Les témoignages rapportés par la journaliste Iona Craig décrivent une violence inouïe et un mépris flagrant des soldats américains vis-à-vis de la sécurité des civils.

 

 

Aujourd’hui, les villageois se demandent toujours ce que les Américains ont cherché à faire pendant ce raid aussi sanglant (…) Les survivants de l’opération d’Al Gahyil se demandent qu’est ce qui a bien pu pousser les forces spéciales à débouler dans leur villages « comme s’ils étaient venus tuer Ousama Ben Laden », et si es Etats-Unis n’avaient pas confondus le leader de l’Etat Islamique avec un militant d’al-Qaida du même nom, Abubakr al Baghdadi, tué pendant le raid.

 

Qassim al-Rimi, la cible supposée du Raid, s’est moqué quelques jours plus tard de l’échec de la mission et du président Trump et offert ses condoléances aux familles des victimes.
Ces dernières ont quitté le village après les destructions des habitations et de leur bétail et par peur de nouvelles attaques.

« La majorité des hommes, des femmes et enfants qui ont survécu sont aujourd’hui des réfugiés ».

 

Effectivement un mois plus tard, des hélicoptères Apaches de l’armée américaines sont revenus à l’assaut du village déserté qu’ils ont pilonné à nouveau, selon un témoin resté sur les lieux.
Et une troisième fois début mars. Cette fois-ci la cible était un autre militant présumé de l’AQAP et le Pentagone affirme que l’attaque était organisée avec le gouvernement yéménite, qui considère ces tribus comme rebelles.
Là encore des civils ont perdu la vie.

 

Alors que le président Trump continue à brandir cette mission comme un succès, en rapportant les propos du Secrétaire à la Défense James Mattis au Congrès il y a [deux semaines] selon lesquels les renseignements obtenus « apporteront beaucoup de victoires dans l’avenir contre notre ennemi », le résultat le plus clair semble avoir été de rallonger la liste des ennemis de l’Amérique au delà d’Al-Qaïda.
Mohammed al Taysi, un membre de la tribu qui a participé à la bataille d’Al Gahyil, l’a résumé simplement. « S’ils reviennent », en se référant aux SEALs, « dites leur d’amener leur cercueil. « On est prêts à se battre avec les Américains et avec ce chien de Trump. »

 

* « Raid in Yemen: Risky From the Start and Costly in the End »The New York Times

* « Death in Al Ghayil »The Intercept

* Carte de la Guerre civile au Yemen en août 2016Wikipedia

 

 

Published in Monde Trumplandia Washington