Très beau reportage de Taffy Brodesser-Akner dans le New York Times magazine sur ces jeunes hassidiques qui décident de quitter leur communauté et reconstruire leur vie dans un monde qui leur est totalement inconnu.
Une association les aide à relever cet immense défi.
Ils sont facilement reconnaissables dans les quartiers de Williamsburg ou Crown Heights à Brooklyn: les hommes habillés en noir ont une barbe, des papillotes au dessus des oreilles, un chapeau ou Schtreimel (celui en fourrure) pendant Chabbat et les fêtes religieuses; les femmes, elles, portent des collants, jupes longues, vêtements de couleurs sombres, celles mariées ont toutes perruques des perruques et sont généralement accompagnées de plusieurs enfants (sept en moyenne par famille).
Ce sont les hassidim, les juifs ultra-orthodoxes dont la vie quotidienne est marquée par une extrême religiosité et par un rejet du monde moderne, dans lequel ils vivent.
Ils sont un demi million à vivre entre New York City, le New Jersey et la vallée de l’Hudson, en apparence presque comme tout le monde: ils prennent le métro, vont à la banque, conduisent des voitures et certains fréquentent même des bars mais aucun ne se mélange, en tout cas pas avec les « autres », les non religieux.
Le plus simple est d’imaginer qu’ils vivent dans une autre dimension – ils occupent le même espace mais parlent un langage différent (Yiddish pour la plupart), ils fréquentent des écoles différentes, ils consultent leurs propres docteurs, gèrent les problèmes judiciaires entre eux, mangent leur propre nourriture qui viennent de leurs supermarchés.
Les divertissements qui pourraient entraver leur spiritualité sont interdits: la télé, les journaux, internet, ou encore la musique.
Ils reçoivent une éducation religieuse qui n’a rien à voir avec celle « laïque », pluri-disciplinaire et scientifique enseignée dans les établissements scolaires américains
Ils sont conditionnés toute leur vie par la religion et la communauté qui entretient cette religiosité.
Et quitter une communauté, c’est la trahir.
« Off the derech » est l’expression utilisée pour qualifier ceux qui ont choisi d’être « en dehors du chemin »: Ils ont abandonné leur famille, leurs conjoints et leurs enfants s’ils étaient mariés et se retrouvent seuls dans une société dont ils ne connaissent aucune règle.
Donc quand ils partent, s’ils partent, ils se rendent compte qu’ils ne sont pas du tout préparés à survivre en dehors de leur quartier, c’est ce qui fait la force de ces communautés ultra-orthodoxes: Le cycle quotidien de prières, de l’école, de l’apprentissage; comment les gens partagent les mêmes objectifs sur la famille, les valeurs; comment est-ce que les voisins s’entraident en périodes difficiles.
Une fois partie, tout ce que possède la personne est une éducation juive, peu de soutien familial, aucune réelle qualification, la vie devient effrayante.
C’est là qu’intervient l’association, Foosteps, qui organise quotidiennement des sessions pour ces anonymes qui veulent franchir le pas et aider ceux qui sont déjà partis: On y aborde tout, la sexualité, les relations matrimoniales, les défis du quotidien et surtout la difficulté de cette transition d’un monde à un autre et l’importance que continue d’exercer la religion dans la vie de ces individus.
« Je n’ai jamais rencontré un membre qui n’a pas, à un moment ou un autre durant leur épreuve, pensé au suicide comme la seule alternative possible » explique Lani Santo, la directrice de Footsteps
En 2015, Faigy Mayer, qui participait aux réunions de Footsteps, a fait la une des journaux après s’être jetée d’un rooftop de Manhattan.
En 2013, Deb tambor, qui avait perdu la garde de ses trois enfants, s’est suicidée chez elle, dans son ranch du New Jersey, qu’elle partageait avec son petit ami, lui aussi un ancien ultra-orthodoxe.
Une fois que quelqu’un quitte la secte, il ou elle devient un paria, renié par ses parents, ses frères et soeurs.
Ce qui rend cet article d’autant plus émouvant, c’est la proximité de la journaliste avec les différents témoignages qu’elle rapporte puisqu’elle aussi a grandi dans cette communauté.
Ma mère est devenue hassidique quand j’avais douze ans alors qu’elle n’avait jamais été vraiment religieuse, j’ai été envoyée dans un lycée juif et des colonies de vacances orthodoxes.
Mes soeurs ont suivi et sont également devenues religieuses. Aucune d’entre nous a été forcée à entrer dedans, ce qui rend la dévotion de mes soeurs d’autant plus incroyable.
Ma mère m’a toujours dit qu’elle l’avait fait parce qu’elle voulait que ses filles aient une vie qui ne soit pas indécente et facile – et elle trouvait que la vie laïque était devenue trop rustre; mes soeurs m’ont dit que ça avait donné plus de sens à leur vie.
Presque trente ans plus tard, je les questionne toujours la dessus, ce qui doit les ennuyer mais elles restent toujours très courtoises.
- « The High Price of leaving Ultra-orthodox Life » – Taffy Brodesser-Akner – The New York Times magazine
- « Escape from the Holy Shtetl » – Mark Jacobson – New York magazine (2008)
- « The Unchanging streets of Hasidics Youth in Williambsurg » – Slate