La nouvelle rubrique « Hive » de Vanity Fair, qui couvre depuis juin dernier « la Silicon Valley, Wall Street et Washington D.C » s’intéresse dans le numéro d’octobre au parcours d’Elizabeth Holmes, l’une des plus jeunes milliardaires américaines, dont la compagnie spécialisée dans les prélèvements sanguins, s’est révélée être un gigantesque mensonge
Le portrait qu’en fait le journaliste Nick Bolton, qui n’a jamais rencontré l’intéressé est pour le moins effrayant, tant son image parait soignée, son discours réglé, et son ambition démesurée et sans limites.
Elizabeth Holmes a toujours voulu réussir à l’image de son idole, Steve Jobs, à qui elle a d’ailleurs emprunté le même col roulé noir qu’elle porte comme un uniforme. A 19 ans, elle décide de quitter la prestigieuse université de Stanford pour créer sa propre compagnie, Theranos, qui veut révolutionner la technique et l’analyse de prélèvements sanguins.
L’idée est simple: Remplacer le traditionnel prélèvement sanguin par intra-veineuse, long et douloureux, par une nouvelle technologie capable d’utiliser quelques petites gouttes de sang capable d’effectuer la même quantité d’analyses. L’expérience de la prise de sang est désormais sans douleur, très peu chère et les résultats disponibles en un temps record.
« Cette femme a inventé un moyen de réaliser 30 tests différents avec quelques gouttes de sang », titrait le magazine Wired en 2014.
En plus de révolutionner les tests sanguins, Holmes a soigneusement auréolé son projet d’une ambition louable, celle « de vouloir changer le monde » , un argument qui a dû peser dans la balance des 700 millions de dollars d’investissements qu’elle a réussi à rassembler.
En 2015, treize ans plus tard, la même compagnie est estimée à 9 milliards de dollars, Elizabeth Holmes est devenue la plus jeune self-made milliardaire au monde, une héroïne de la Silicon Valley et un modèle de réussite pour toutes les femmes du monde entier.
Seule ombre au tableau, la technologie sur laquelle repose le succès de sa compagnie n’est pas scientifiquement viable.
C’est un journaliste du Wall Street Journal, John Carreyrou, qui s’est intéressé de plus près à cette technologie miracle, après avoir lu différents reportages sur Holmes, notamment celui du New Yorker, qui mettait l’accent sur la confidentialité d’une compagnie qui fournit à la fois l’équipement qui prend en charge la prise de sang et ses résultats:
« Certains observateurs sont troublés par le secret entourant Theranos. Ses prises de sang sont certes révolutionnaires mais la compagnie a publié très peu de données à des journaux scientifiques chargés d’examiner précisément comment l’appareil marche ou qui valident la qualité des résultats. »
Cet article daté de décembre 2014 est le point de départ d’une enquête de plusieurs mois au cours de laquelle John Carreyroux sera harcelé voire menacé par les avocats de Theranos, et ce jusqu’a la publication de ses recherches en octobre 2015 intitulée « La startup Theranos peine avec sa techonologie de prise de sang ».
Selon le journaliste, Theranos n’utiliserait pas la technologie de pointe soi-disant développée dans des appareils ultra-performants appelés « Edison » mais aurait recours à des laboratoires extérieurs pour effectuer les tests sanguins.
Elizabeth Holmes a réussi à tromper investisseurs, entrepreneurs et journalistes de la Silicon Valley parce qu’elle a parfaitement compris son fonctionnement (l’argent et la noblesse d’un projet), ses agents, et l’image de réussite qu’elle aime cultiver. « D’une certaine manière, l’adoration quasi-universelle dont jouit Holmes reflète un comportement extraordinaire » mais aussi « le propre narcissisme de la Silicon Valley » explique Nick Bolton.
Elizabeth Holmes a toujours été convaincue d’avoir La bonne idée, ce malgré les réticences des scientifiques à soutenir un projet qui est techniquement impossible: plusieurs gouttes de sang ne sont pas suffisantes pour obtenir des résultats sanguins satisfaisants. Loin d’abandonner son idée, elle a réussi à convaincre un professeur de Stanford de la soutenir.
Elle a ensuite vendu son projet à des investisseurs, à la condition de garder la technologie secrète et de garder le contrôle total de la compagnie, ce qu’elle a réussi à maintenir.
Enfin, elle s’est entourée d’un staff au garde à vous sans expérience scientifique, technologique ou médicale auquel elle a imposé la confidentialité la plus totale.
Aujourd’hui Elizabeth Holmes a perdu la plupart de ses soutiens de la Silicon Valley, est interdite de conduire un laboratoire médicale pour les deux prochaines années, ses machines « Edison » sont interdites d’utilisation par la Food and Drug Administration, et sa compagnie est sous le coup d’une enquête civile et criminelle de la Securities and Exchange Commission et du procureur de l’état de Californie, et deux procès de class action pour fraude.
Forbes l’a enlevé de sa liste des self-made entrepreneurs les plus riches, et estime aujourd’hui sa fortune à « presque rien. »
Holmes elle y croit toujours et participe à des conférence scientifiques et médicales au cours desquelles elle présente une nouvelle technologie d’analyses de sang qui ne serait « ni nouvelle, ni révolutionnaire ».