Les médias ne sont pas ressortis grandis de ces dix-huit mois de campagne au cours desquels ils n’ont eu de cesse de dénoncer les provocations et les dérives de Donald Trump et de son programme, en prenant souvent fait et cause pour Hillary Clinton.
L’élection surprise du candidat républicain ne doit pas normaliser sa rhétorique violente et raciste et ne doit devrait pas remettre en question le travail de critique de la presse vis-à-vis du futur président et son administration.
Depuis une dizaine de jours, de nombreux journalistes américains s’inquiètent de voir le mainstream média prêt à tourner la page sur toutes les provocations et scandales dont Donald Trump a fait l’objet, accepter son nouveau statut et même aller jusqu’à lui souhaiter bonne chance.
Ce processus de « normalisation », qui consiste à accepter inévitablement l’inacceptable, doit être combattu autant que possible, et jamais le travail des journalistes n’aura été plus crucial que celui de ces prochaines années.
Un cinquième de la population du pays a décidé de voter pour un candidat accusé de multiples agressions sexuelles par des femmes qu’il a moqué, humilié et menacé comme toutes les minorités du pays (Afro-Américains, Musulmans, Mexicains, handicapés) ne signifie pas que le reste du pays doit accepter ce comportement, d’autant qu’il a largement perdu le vote populaire avec plus de 1,5 millions de votes de moins que Hillary Clinton.
Les manifestations qui ont lieu depuis le 8 novembre témoignent d’une volonté de mise en garde de citoyens américains contre d’éventuels dérapages du futur président.
Certains en revanche se sont rangés en l’espace d’une nuit, à l’instar de People magazine, qui a offert au nouveau président une couverture triomphante.
Ce même hebdomadaire qui publiait trois semaines plus tôt le récit de l’agression sexuelle subie par l’une de ses anciennes journalistes lorsqu’elle a rencontré Trump en 2005. Allégations que ce dernier a bien entendu nié et contre-attaqué en menaçant de la poursuivre en diffamation.
Le démarche du tabloïd a créé un vive polémique et certaines célébrités ont appelé à son boycott obligeant la rédactrice en chef à se justifier dans un mémo interne dans lequel elle continue de défendre son ancienne employé mais doit également satisfaire l’attente du public avec la traditionnelle une du nouveau président.
Lundi dernier, Matt Zoller Seitz s’insurgeait sur le site du New York magazine contre l’émission 60 Minutes qui a offert la première interview-promotion du futur président prêt à faire amende honorable devant des millions de téléspectateurs, et qui s’en est sorti grâce à la passivité, voire la connivence de la journaliste qui n’a jamais réellement confronté Trump.
Elle lui a mâché le travail et même la réponse face à la recrudescence d’actes de violence face aux minorités était déconcertante de vide.
.@realDonaldTrump addresses reports of violence: "Stop it" https://t.co/PGBVkXyvcE #60Minutes pic.twitter.com/n0dlBqeVU8
— 60 Minutes (@60Minutes) November 14, 2016
Les commentaires sur sa victoire « C’est tellement gros, c’est tellement énorme, c’est tellement incroyable » n’ont pas soulevé plus de questions de la part de la journaliste, Lesley Stahl qui a réussi à faire grimper l’audience de 34% avec un service minimum, laissant de nombreux téléspectateurs sur leur faim.
Plutôt que de confronter Trump, le raciste, le misogyne, le prédateur sexuel, Jimmy Fallon a préféré en septembre dernier s’amuser avec ses cheveux et le rendre plutôt sympathique alors qu’un an plus tôt NBC lui a offert trois heures de prime time comme invité de Saturday Night Live.
Les portraits au vitriol du candidat et éditoriaux de la grande majorité des quotidiens du pays contrastent avec la couverture médiatique qu’il a reçu sur les chaînes télé nationales, qui ont tout retransmis littéralement, conférences de presse et ses meetings, sans contextualiser ses propos ou son comportement.
Que penser de Dave Chapelle, l’un des plus importants comiques Afro-américains, musulman, qui souhaite « bonne chance à Donald Trump » en ouverture de SNL la semaine dernière, dix jours après avoir dédié un show à descendre Clinton et à minimiser l’incidence de la « locker room talk » du nouveau président?
En l’espace d’une élection, un homme détesté par la majorité des Américains devient tout d’un coup le président qu’il faut respecter et à qui il faut donner sa chance?
Et le journaliste du nymag.com de citer la tribune d’un ancien avocat devenu comique, Dean Obeidallah, sur cnn.com qui prend l’exemple de Chapelle et affirme que « Trump doit gagner le soutien des minorités » – pas avec des phrases toutes faites du type « je serai le président de tous les Américains » mais avec des actions concrètes.
Ce ne seront pas celles de nommer un white nationalist comme l’un des influents conseillers de la prochaine administration, de pressentir Micheal Flynn un anti-musulman à la sécurité nationale ou encore Jeff Sessions, comme ministre de la Justice, à qui on a déjà refusé le poste de juge fédéral à cause de commentaires racistes.
La journaliste Margaret Sullivan s’alarme dans le Washington Post au lendemain des élections
J’espère vraiment que les journalistes ne vont pas normaliser le comportement de Trump, alors qu’on entendait déjà des explications du genre « Eh bien, il semblerait que les Américains ont changé » sur les chaînes d’informations le soir des résultats.
Again, our photographer took this in Minnesota. I had the location wrong the first time. Apologies. pic.twitter.com/OwuCt7WAUr
— Patricia Zengerle (@ReutersZengerle) November 6, 2016
Rencontrer un supporter de Trump qui porte un T-Shirt avec les mots « Corde, arbre, journaliste » dans l’un de ses meetings n’est pas normal dans une démocratie. C’est sans doute un cas isolé, une ultime provocation, mais ce sont ces électeurs que Trump a chauffé à blanc ces derniers mois, qui ont fini par l’élire et qu’on verrait mal le futur président réprimander après avoir continuellement jeté le discrédit sur les journalistes pendant sa campagne.
Il serait dangereux de « laisser passer » ce genre de comportements aujourd’hui que la fièvre de la campagne commence à retomber, et que le camp de ceux qui étaient à prendre les armes, à intimider les électeurs et refuser le résultat des élections a finalement gagné.
Les journalistes ont l’immense responsabilité de dénoncer toutes ces dérives, quitte à être répétitif ou alarmiste.
Il faut empêcher l’extrêmisme de devenir acceptable.
Dans une excellente analyse publiée dans sur le site du Guardian, la journaliste Zoe Williams prévient du « dangereux fanstasme derrière la normalisation de Trump ».
Les démocrates respectent par définition la démocratie et Clinton, qui a gagné le vote populaire, a dès le lendemain concédé la victoire de Trump, tout comme Obama, qui a honoré sa fonction de président en appelant à la réussite de son successeur alors que ce dernier l’a ramené en laissant entendre qu’il pourrait ne pas accepter le résultat des élections.
La campagne très dure est terminée et place à la réconciliation?
Cette situation n’est pas normale (…) Quand le directeur de la stratégie est accusé d’encourager le racisme et l’antisémitisme; quand le vice-président élu à signé une législation qui oblige les femmes à tenir et payer pour les funérailles des foetus qu’elles ont perdu, quand le président élu souhaite déporter trois millions d’immigrés, Quand il a 12 accusations pour des comportements sexuels déplacés en cours contre lui, quand il a annoncé un cabinet qui inclut ses trois enfants: Ca n’a rien à voir avec la démocratie. Ca n’a rien à voir avec la réconciliation. C’est despotique, incendiaire, extrémiste et violent: Ca ressemble exactement à ce que Trump a promis que cela ressemblerait, alors qu’il a promis d’enfermer sa rivale. Ses adversaires répondent qu’il ne pense pas forcément ce qu’il dit, ce qui est loin d’être prouvé.
Leur désir de normaliser les met dans une état second qui leur fait voir la présidence comme il la voudrait et non pas elle est tout simplement.
Le Wall Street Journal annonce la nomination de Steve Bannon qu’il décrit comme « une force politique perturbatrice » à Washington, un ancien de Breitbart News, un site internet « qui s’est attaqué à des figures de l’establishment républicain et qui s’identifie à l’alt-right, un mouvement qui promeut le nativisme et qui voit l’immigration et le multiculturalisme comme une menace pour l’identité blanche ».
C’est tout. Alors que Bloomberg Businessweek en a fait un portrait l’année dernière en le qualifiant de l’un des « stratèges politiques les plus dangereux du pays ».
Steve Bannon est effectivement un homme brillant qui une idée bien tête de ce qu’il avisera au prochain président, ce qui n’empêche que ses choix éditoriaux doivent être critiqués pour ce qu’ils sont: misogynes, antagonistes, et parfois xénophobes.
On finira par les propos de Bret Stephens dans le même quotidien résume un courant de la presse américaine:
La nouvelle administration Trump mérite notre ouverture d’esprit, comme Hillary Clinton l’a avancé dans son discours de défaite. Ce devrait être une règle dans les démocraties que les candidats à la présidentielle soient jugés coupables avant d’être reconnus innocents, alors que les vainqueurs méritent d’être jugés innoncents avant d’être déclarés coupable.
Encourager l’échec de Trump est un insulte au patriotisme. C’est trompeur.
Mais soyons biensûr d’une chose, gagner une élection ne signifie avoir raison. L’équipe Trump n’est pas la Team America. La modestie est nécessaire en politique surtout pour celui qui perd le vote populaire avec une marge aussi importante. Et la question la plus appropriée pour Trump et ses supporters n’est pas ce que ses détracteurs vaincus lui doivent. Mais c’est ce qu’il leur doit comme leur plus important serviteur politique du pays.
Espérons que la nouvelle administration sera aussi sage.