Les sanctions très sévères prises par Barack Obama à l’encontre de la Russie, accusée d’avoir piraté le Parti Démocrate durant la campagne présidentielle pour favoriser Donald Trump aux dépens de Hillary Clinton, sans avoir offert de preuves tangibles, met aujourd’hui les médias americains dans une situation délicate.
Certains journalistes évoquent le scandale des armes de destruction massive: un mensonge orchestré par l’administration Bush, appuyé à l’époque par l’enquête d’une journaliste du New York Times, qui avait justifié l’intervention de l’armée américaine en Irak.
Parmi eux, Glenn Greenwald et Matt Taïbbi mettent aujourd’hui en garde leurs confrères contre l’éventualité d’un nouveau fiasco.
Le renvoi de 35 dignitiares russes liés aux services de renseignements du sol américain et la réponse stratégique de Poutine de ne pas envenimer la situation en attendant l’investiture de Donald Trump, ferait presque passer Barack Obama pour l’agresseur et son confrère russe pour une oie blanche.
La plupart des quotidiens du pays consacraient leur une hier à la décision dramatique du gouvernement américain en considérant comme acquise la culpabilité du Kremlin dans cette affaire de piratage. Rares ont été ceux à admettre qu’il n’existe pourtant aucune preuve tangible aujourd’hui que le gouvernement russe est à l’origine du « hackage » du Parti Démocrate si ce n’est le rapport de la CIA et du FBI, publié jeudi, qui reste très flou sur les méthodes employées et les acteurs engagés dans ces actes criminels.
Comme le constate Matt Taïbbi dans Rolling Stone hier, ce rapport ne livre aucune indice sur ce qui a mené les services de renseignements à déterminer que:
- Le gouvernement russe était le commanditaire du piratage
- Le piratage était destiné à influencer les élections présidentielles, qui plus est, en faveur de Donald Trump.
Comme les médias conservateurs l’avancent, personne, ni Poutine, ni le parti Républicain, ni même sans doute Trump, avaient prévu la victoire de leur candidat.
Le problème avec cette histoire, c’est que comme dans la débâcle de celle des armes de destruction massive en Irak, elle s’inscrit dans un environnement extrêmement politisé dans lequel les motifs de tous les acteurs impliqués sont suspects. Rien n’est logique ici.
La seule façon d’y voir plus clair serait de fournir des preuves que l’administration Obama et les services de renseignements refusent de révéler « par peur d’exposer leurs sources et leurs méthodes » – malgré les demandes répétées des journalistes, conservateurs et libéraux depuis des semaines.
Plus inquiétant, pour certains supporters de Clinton, l’idée que « la Russie a piraté les élections » renvoie au piratage des votes le jour des élections – des suspicions levées après le recomptage des voix dans le Michigan et le Wisconsin, qui ont confirmé la victoire de Trump dans ces Etats.
Selon le site Yougov, la moitié des électeurs démocrates pensent que le gouvernement russe aurait modifié les résultats du scrutin le 8 novembre – « un nombre aussi inquiétant que les 62% d’électeurs de Trump qui croient les propos d’Alex Jones, un présentateur télé conspirationniste, selon lesquels des millions de sans papiers auraient voté illégalement aux élections présidentielles.
Cette affaire a également des enjeux partisans, et l’intervention de Glenn Greenwald, la semaine dernière sur le plateau de Tucker Carlson, sur Fox News, pour dénoncer les accusations du gouvernement américain contre les agissements russes, a été critiquée par certains médias libéraux qui l’accusent de prendre la parti de Trump et de Poutine.
Le fondateur de The Intercept en a conclu qu’accuser la Russie d’ingérence n’était finalement qu’un stratège politique des démocrates pour discréditer le prochain président.
Il n’existe aucune preuve tangible pour appuyer les accusations du FBI, de la CIA et du gouvernement américain, et en tout état de cause, il est impossible de tirer de conclusion définitive sur l’ingérence de Vladimir Poutine et du gouvernement russe dans les élections présidentielles américaines – une précaution que beaucoup de journalistes et de rédactions n’ont pas prise.
Comme le rappelle Matt Taïbbi en conclusion de son article:
Nous devrions avoir appris de l’épisode Judith Miller [journaliste du New York Times qui a révélé l’existence d’armes de destruction massive en Irak avant de reconnaître que ses sources l’avaient manipulée].
Non seulement les gouvernements mentent, mais ils n’hésiteront pas à ruiner les agences de presse au passage. Ils utiliseraient n’importe quel pigeon pour arriver à leur fin.
Je n’ai aucun problème à penser que Vladimir Poutine a tenté d’influencer les élections américaines.
C’est un gangster de bas étage qui est capable de tout. Et pareil pour Donald Trump qui s’est rabaissé durant la campagne jusqu’à aller demander aux Russes de rendre publique les emails de Hillary Clinton. Donc tout est possible.
Mais on s’est déjà trompés dans des histoires similaires, qui ont eu des effets désastreux. Ce qui rend encore plus surprenant le fait qu’on n’essaye pas un peu plus d’éviter de se faire avoir à nouveau.