Il a été pris de nausée. Ce qui les a rendu si mal à l’aise n’était pas le fait qu’Anna soit âgée de 41 ans et D.J. 30 ou que Anna soit blanche et J.D. noir, ou encore que Anna soit mariée et mère de deux enfants et que D.J. ne soit jamais sorti avec personne. Ce qui les a choqués – et a entrainé le scandale puis le procès en assise et la procédure civile de plusieurs millions de dollars – c’est que Anna pouvait communiquer et pas D.J. ; qu’elle était professeure d’éthique à l’université de Rutgers – Newark [New Jersey] et que D.J. a les capacités mentales d’un enfant aux yeux de l’état.
Publiée en “Cover Story” du New York Times Magazine l’année dernière, “L’étrange affaire de Anna Stubblefield” raconte l’histoire d’amour entre une professeure d’université, mariée et mère de famille, avec l’un de ses élèves, handicapé physique et mental. Convaincue de la sincérité de ses sentiments jusqu’à son procès, Anna Stubblefield en a tout perdu : son métier, son mariage, ses enfants.
Elle a été condamnée en Janvier 2015 à 12 ans de prison pour agression sexuelle.
Une vie et une carrière de lutte contre les « opprimés »
Lorsqu’elle fait la connaissance de D.J. en 2011, Anna Stubblefield enseigne la philosophie à Rutgers University dans le New Jersey et milite activement pour les droits et l’insertion des handicapés, une lutte que ses parents ont commencé des années plus tôt; c’est aussi une experte en philosophie africaine qui a publié de nombreux ouvrages et essais autour des thèmes de l’éthique et de « la race ».
Inquiète des effets du « racisme assimilé » des « blancs » qui ont« trop souvent envahit et détruit l’espace des ‘non blancs’ « , elle avance l’idée selon laquelle « l’intellect d’une personne – qui détermine si une personne est handicapée ou non – peut aussi être une construction sociale (…) au même titre que la race, le genre ou la sexualité ».
Dans cette logique, le Q.I., dont « les élites [blanches] ont défini la mesure », est une rationalisation et outil de d’oppression anti-noir ».
« Si les afro-américains pauvres sont les membres les plus vulnérables de notre société, écrit-elle en 2009, alors les pauvres afro-américains handicapés – des jeunes hommes comme J.D., né avec une paralysie cérébrale , élevé par une mère célibataire, apparemment incapable de communiquer, sont les plus vulnérables des vulnérables. »
C’est le frère de D.J, Wesley, l’un des élèves du professeur Stubblefield à Rutgers University, qui l’a approchée en 2009, le visionnage d’un documentaire « Autism is a World » dans lequel une jeune autiste qui réussit à rentrer à l’université grâce à la méthode dite de « la communication facilitée » – une méthode qu’Anna avait décidé d’apprendre l’année précédente et commencé à exercer avec D.J.
Une méthode controversée
La méthode, inventée en Australie dans les années soixante-dix, consiste à aider le patient à identifier, avec sa main ou l’un de ses doigts, sur un clavier d’ordinateur, des lettres pour construire des mots et formuler des phrases. La méthode n’a jamais été acceptée par la communauté scientifique.
Elle s’est néanmoins répandue dans les services de l’aide aux handicapés à la fin des années 80 avec une « ferveur quasi-religieuse » et que la mère d’Anna a été l’une des premières à exercer aux Etats-Unis. Présentée comme un « miracle » dans les magasines d’informations, la F.C ou Facilitated Communicated a rapidement été remise en questions lorsqu’une soixantaine de patients a porté plainte pour agressions sexuelles.
Au delà de ce scandale, les principales critiques portaient sur l’inefficacité de la méthode car « la plupart des messages que les gens incapables de parler [faisaient] n’étaient pas les leur mais ceux de leur « facilitator« – le rôle qu’a exercé la professeure Stubblefield auprès de D.J.
Au procès, elle a expliqué qu’elle est progressivement tombée amoureuse de son patient en même temps qu’elle s’est rapprochée de sa famille. Après deux ans de travail, D.J. est devenu un modèle de réussite de la communication facilité: il a commencé à témoigner de son handicap dans des conférences sur l’autisme et suivre des cours de littérature africaine à l’université.
Un succès que sa mère et son frère n’ont partagé qu’a moitié puisqu’ils n’ont jamais pu entrer en communication avec lui – c’est ce qui a d’ailleurs entraîné les premiers soupçons du frère de D.J. sur la méthode de Anna.
De « facilitator » au viol
En mai 2011, Anna a révélé sa relation à la famille de D.J. et s’est engagée à quitter mari et enfants pour s’installer avec lui. La mère et le frère ont immédiatement coupé les ponts avec elle, et c’est seulement après que Anna se soit plaint de cette décision et du bien-être de D.J. auprès de la direction de son programme de jour que la famille a décidé de porter plainte.
Dans une lettre adressée au doyen de Rutgers University, Wesley, le frère de D.J. « a accusé Anna de devenir son propre cauchemar »: Ses tentatives répétées pour voir D.J. et insinuer que ma mère et moi ne savons pas ce qui est dans son meilleur intérêt est insultant et s’apparent à un préjugé racial sur la capacité de parents noirs à éduquer convenablement leurs enfants.
S’en est suivi l’arrestation, le procès et la condamnation de la professeure pour le viol d’un handicapé.
En attendant sa condamnation, Anna Stubblefield a écrit au juge: « Je pensais que lui et moi étions des équivalents intellectuels, que notre relation était consensuelle et aimante. Je n’ai jamais voulu lui faire de mal, je n’avais rien à gagner. »
Aujourd’hui et malgré les controverses qui continuent d’entourer la communication facilitée, de nombreux parents et thérapeutes continuent de l’utiliser cette méthode pour essayer de communiquer avec les autistes et handicapés.