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Fast Company: « Chipotle Eats itself »

Chipotle Mexican Grill, le géant du fast food version mexicaine a construit son succès en Amérique du nord et en Angleterre grâce à des produits frais, sans OGM, préparés sur place dans ses restaurants.
Une qualité qui pose des risques puisque la compagnie vient de faire face à une crise sanitaire nationale sans précédent, provoquant la déchéance de l’enseigne et la désertion de ses consommateurs

L’immense succès d’une « nourriture responsable »

Austin Carr, journaliste à Fast Company est allé enquêter pendant sept mois sur une entreprise en pleine crise et nous explique comment Chipotle a vu se briser en quelques mois le rêve d’une industrie du fast food basée sur une « nourriture responsable » ?

L’idée remonte à 1993 lorsque Steve Ells, un chef diplômé du Culinary institute of America, ouvre le premier Chipotle dans sa ville natale de Boulder dans le Colorado.
Le restaurant offre une restauration rapide faite de menus frais de qualité à un prix plus élevé que McDonalds ou Burger King – une recette auxquels beaucoup n’ont pas cru à l’époque et qui s’est révélée être un immense succès.

En 2005, grâce à l’apport d’argent du géant McDonalds, Chipotle agrandit son enseigne jusqu’à 500 restaurants sur le territoire américain et s’impose comme l’une des chaînes de fast-food les plus dynamiques.
En 2006, il s’implante au Canada puis à Londres en 2010 et Paris en 2012.
Aujourd’hui, la compagnie possède plus de 2 000 restaurants non-franchisés qui rémunèrent à bas salaires (10 dollars ou 9 Euros par heure) quelques  60 000 employés. Avant la crise, elle servait chaque jour 1.5 millions de repas, l’équivalent de la population de Philadelphie.

Jusqu’à l’année dernière, Chipotle remportait les suffrages des consommateurs, des investisseurs, des actionnaires en ayant « révolutionné l’industrie du fast food américain ».
Grâce à l’omniprésence de son fondateur et CEO, Steve Ells, la nourriture a toujours été la priorité des restaurants qui ont refusé à la demande de McDonalds notamment, de diversifier leur offre – le cafe et les cookies par exemple, à forte valeur ajoutée – et ne se concentrer que ce pour quoi « ils étaient les meilleurs ».
Le géant américain a d’ailleurs vendu ses parts en  2006.

Un article de Fast Company sur Chipotle daté de mars 2014 conclut:

Ce que Chipotle a appris, c’est ce que ses consommateurs sentent la différence de goût entre la viande naturelle et les légumes frais cultivés « avec intégrité », comme le précise la chaîne, et c’est pourquoi ils sont prêts à payer extra.

La débâcle de « l’anti-Macdo »

C’était sans compter le cauchemar des centaines d’intoxications alimentaires, parfois très graves, qui ont été recensées dans tout le pays à partir de la fin 2015 jusqu’au milieu de l’année 2016 dans les restaurants Chipotle.

Un empire qui a mis vingt-trois ans à se construire s’est effondré en quelques mois seulement.
En mai dernier, ses deux CEOs, Steve Ells et Monty Moran ont annoncé une perte de 26,4 millions de dollars pour le premier quart de l’année, la première depuis son Offre Publique d’Achat en 2006.
Plus inquiétant encore, les restaurants ont « perdu un tiers de leurs chiffres d’affaires et l’action a baissé de 30% – une dévaluation estimée à 10 milliards de dollars.

Bloomberg BusinessWeek - 28/12/15 issue : "est ce que Chipotle peut survivre aux intoxications alimentaires?"
Bloomberg BusinessWeek – 28/12/15 issue : « est ce que Chipotle peut survivre aux intoxications alimentaires? »

Tout commence en octobre 2015 quand un étudiant de Seattle se plaint de violents maux de ventre après avoir diné à Chipotle. Des examens supplémentaires signale la présence d’E.Coli, un germe alimentaire potentiellement très dangereux, qui sont également signalés chez d’autres individus dans l’état de Washington et son voisin, l’Oregon.

Ce qui a contribué au succès de Chipotle, la préparation d’une nourriture fraîche dans les cuisines des restaurants, semble avoir contribué à sa misère: la contamination croisée entre différents ingrédients qu’aucun test n’a réussi à isoler jusqu’ici avec certitude – vraisemblablement les oignons, la coriandre et le boeuf importé d’Australie.

« Ca ne veut pas dire que Chipotle aurait pu se permettre d’attendre et de traiter l’épidémie comme un cas isolé. Sans coupable, c’est toute la chaîne de préparation de la nourriture qui a été remise en question.

 

Une gestion bancale de la crise

Aucun employé n’a contracté de virus, ce qui a poussé certains a crié au complot, notamment contre Monsanto, le géant des OGM, ennemi juré de Chipotle, mais une rotation quasi-annuelle de l’ensemble du personnel de chaque restaurant, peu formé et expérimenté ainsi qu’un contrôle très limité des produits – quatre personnes sur l’ensemble du territoire américain – pourraient être responsable de ces problèmes sanitaires.

Tous ces moyens de contrôle d’éventuels crises sanitaires n’ont pas suivi l’expansion rapide de la compagnie qui « ouvrait 200 restaurants par an », et « engageait parfois jusqu’à 4 000 employés par jour. »

Chipotle - Campagne "Food with integrity" - 2015
Chipotle – Campagne « Food with integrity » – 2015

Les nouvelles mesures de prévention mises en place par les deux CEOs sont allés de la centralisation du lavage et du découpage des légumes, aux tests systématiques des viandes, à des mesures d’hygiène bien plus strictes pour les employés et un contrôle plus important encore pour les responsables d’établissements.

Malgré ces mesures, une autre épidémie, cette fois de norovirus, a éclaté dans le Massachusetts en décembre 2015, discréditant pour de bon l’enseigne où l’on évite désormais d’aller pour ne pas tomber malade.
Steve Ells a acheté 62 pages entières de quotidiens à travers le pays pour s’excuser et tenter de rassurer ses clients.

Lettre du fondateur de Chipotle, Steve Ells, dans la Boston Globe le 16 décembre 2016
Lettre du fondateur de Chipotle, Steve Ells, dans le Boston Globe le 16 décembre 2016

Pour assurer une nourriture sans danger, tous les produits frais, légumes et viandes sont depuis préparés et cuits dans des cuisines centrales puis livrés individuellement aux restaurants. La sécurité de la nourriture l’emporte aujourd’hui certainement sur l’impératif de qualité et la « fraicheur » des aliments, arguments majeurs de Chipotle qui le différencie d’autres concurrents comme Taco Bell par exemple.
L’entreprise a envoyé des menus gratuits à vingt millions de foyers aux Etats-Unis pour les encourager à retourner manger dans leur enseigne.

Mais un autre cas de norovirus s’est déclaré chez les employés d’un restaurant de Billerica dans le Massachusetts début mars 2016 qui a éliminé tous les efforts entrepris les derniers mois pour revaloriser les restaurants et la marque Chipotle.

On comprend l’amertume de certains employés de Chipotle devant le traitement parfois injuste dont la compagnie a fait l’objet – par les contrôles d’hygiène, les médias, et ses propres clients.
Pourtant, Chipotle n’a eu d’autres choix que de maîtriser une situation dans laquelle elle a perdu son prestige. Et il n’y pas de solution miracle aujourd’hui pour tenter de le retrouver.

 

 

Published in A lire dans la Presse